Le digital…ça change quoi dans le management ?
Table ronde animée par Clément Lesort, Journaliste.
Avec la participation de :
Plein gaz sur le digital. C’est le choix que font nombre d’entreprises pour garder des longueurs d’avance. Si ce virage leur demande de s’outiller, il les incite aussi à transformer leurs pratiques managériales. Quatre témoins partagent vécus et visions sur cette transition stratégique.
Le digital, beaucoup l’ont d’abord pris par… le mauvais bout. « Au départ, pendant 6 mois, nous nous sommes focalisés sur la transformation technologique et la mise à disposition d’applis dédiées clients, relate Ludovic Favarette, le directeur Développement RH, Innovation et Transformation à la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique. Or, le fossé s’est creusé entre les collaborateurs utilisateurs de ces applis et les autres. Pour beaucoup, cette orientation ne matchait pas avec leur quotidien. »
Idem chez Soitec, l’expert des matériaux semi-conducteurs innovants, qui possède depuis des années des outils IT performants, proches des opérationnels. « En 2 à 3 heures, grâce aux KPI, nous pouvons mesurer et analyser par exemple les pertes d’exploitation et leur origine. Ce système de pilotage certes puissant, favorise aussi le « tout-contrôle » et le stress et in fine crée les conditions de l’échec managérial », observe Cyril Menon, directeur des Opérations.
Une transformation RH, avant tout…
Ainsi, pour Pierre-Marie Lledo, directeur du département Neurosciences à l’Institut Pasteur, la motivation des collaborateurs ne naît pas sous l’injonction. « Le cerveau humain montre une volonté insatiable d’acquérir des compétences. Encore faut-il lui fournir des conditions permissives », dit le chercheur, qui souligne l’importance d’équilibrer désir/ plaisir au travail. Et de mettre les salariés en posture d’agir : « sur le principe du PTA à savoir Perception Traitement Action, les personnes doivent être leurs propres acteurs du changement. »
Pour réussir ce virage numérique, les entreprises réinjectent des fondamentaux : bon sens au service du client, confiance et écoute des équipes, etc. Elles s’emploient aussi à donner sa place à l’humain. Pour Ludovic Favarette, la transformation digitale est ainsi, avant tout, un « sujet de transformation RH, où la gestion des compétences constitue un volet crucial. »
Les forces de la communauté
Geneviève Campan partage cet avis. « Dans un secteur mouvant comme le satellite, générateur de nombreuses données, nous devons gagner en compétences et en synergie, retrace la directrice Transformation et Digital au CNES. L’itinéraire digital différant d’une personne à l’autre, il est primordial d’accompagner pour ne pas laisser du monde en chemin. » De ce constat résultent la désignation en interne d’ambassadeurs numériques, la mise en place de formations (big data, Lean…) et la création de communautés digitales. « Même si cela signifie perdre un peu le contrôle pour le manager, ces communautés permettent de partager informations, bonnes pratiques, et de bénéficier immédiatement de la capacité d’innovation », ajoute-t-elle. Une connexion des énergies, sur laquelle les autres témoins misent aussi. Au creux de la vague en 2014 (perte d’un client important, diversification échouée…), Soitec a travaillé à fédérer les collaborateurs, en leur donnant vision et perspectives d’évolution. L’entreprise a préparé ainsi son rebond (+ 30 % de croissance en 2017). La BPACA choisit, de même, de nommer 60 « digicoachs » et de lancer des communautés par sujet avec « des pairs parlant à leurs pairs ». Le CNES, enfin, a libéré pour ses collaborateurs des espaces de test – le Totem d’immunité leur permet d’expérimenter librement une idée pour le bien commun – et activé le levier intergénérationnel du Reverse Mentoring. Principe : les « digital natives » de l’entreprise forment les membres du Comité exécutif aux nouveaux usages du numérique.
Place au « manager neuroamical »
Pour Pierre-Marie Lledo, ces approches soulignent les rôles importants du cerveau social – le « cerveau humain est une chambre d’écho de l’autre » -, du sentiment d’appartenance et du rapprochement des expertises. « Le digital bouscule le rapport à l’autre, qui ne fonctionne plus sur du dominant à dominé, dit-il. La puissance de l’intelligence collective naît dans la reconnaissance des expertises complémentaires. » Selon le chercheur, il s’agit d’un enjeu crucial pour le manager tout comme l’infobésité, qui « condamne le sujet à savoir et ne pas comprendre ». Le leader de demain devra donc être un « manager neuro-amical », apte à transformer l’information sans nourrir l’infobésité. Il sera aussi celui, qui saura se connecter, se déconnecter et écouter.
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