Guénolé MERVEILLEUX
Président
Océalliance
François GUERIN
Président Directeur Général
CETIH
Pascal PICQ
Paléoantropologue, Conférencier et Auteur
Table ronde animée par
Clément Lesort
Journaliste
La crise en cours l’a démontré : ceux qui s’en sortent le mieux portent le regard loin, allongent la foulée, étendent le champ des possibles… Construire et partager une vision commune est une condition essentielle tant pour donner du sens et engager les collaborateurs dans l’action, que pour entretenir la motivation et la persévérance du dirigeant.
Est-ce que la période actuelle a accéléré encore plus la transformation de l’organisation du travail ? Pour sûr, selon Pascal Picq, paléoanthropologue spécialiste de l’évolution de l’homme, qui analyse les grands bouleversements de notre société : « Nous sommes en train de vivre une période de changements extrêmement rapides, avec une incapacité de percevoir le reste du monde et ses évolutions. Pourtant, on fait le tour du monde en moins de 24h, et le numérique s’est développé à l’échelle planétaire. La terre est pour ainsi dire redevenue plate car les innovations sont partout dans le monde. L’Occident et son modèle de développement ne sont plus le centre et la Chine n’est plus l’atelier du monde. Les Chinois ont su gérer le virus mieux que nous, ils ont une avance sur le rapport à la distanciation, le port du masque, l’intelligence artificielle, la transformation numérique. La sélection naturelle « sélectionne », elle n’élimine pas, elle ne fait que favoriser ou défavoriser ce qui existait déjà. Et les tendances c’était quoi ? Eh bien, l’automation et la numérisation de l’économie. » Dans ce contexte, la logique darwinienne reprend le dessus : ce sont les organisations les plus agiles qui trouveront les clés pour s’adapter et sortiront renforcées de cette bascule qui s’opère.
Le sens, l’humain et… le consentement
Les entreprises qui sont déjà engagées dans une démarche RSE ont 9% de résultats en plus. Pourquoi ? Elles ont une vision commune de la société et de l’environnement, et cela participe au sens. Elles sont attentives à ce qu’il y a autour d’elles. Le mot-clé, pour Pascal Picq, c’est l’écosystème : « Quand un acteur disparaît, ce sont aussi toutes ses relations qui disparaissent. Aujourd’hui, on assiste à une critique du renouveau du capitalisme qui a triomphé avec une approche écosystémique. Les entreprises sont au cœur de cela. On parle beaucoup de sens et d’humain, mais il y a aussi le consentement. Donner du sens, motiver les équipes, oui, c’est le rôle des dirigeants et managers. Mais la meilleure façon d’avoir une adhésion de tous dans un sens commun, c’est de bien décrire ce que l’on veut faire et que les personnes participent à la conduite du projet mais aussi à sa constitution ».
La RSE pour avancer main dans la main
La démarche RSE, vertueuse, est de plus en plus présente au sein des entreprises. Chez Cetih, spécialiste de la fabrication de menuiseries et de la rénovation énergétique de l’habitat, qui compte 1300 salariés, cette démarche est active depuis longtemps. « Dans RSE, il y a le mot responsabilité, qui est vraiment dans notre ADN. La RSE irrigue toutes les activités de l’entreprise. D’intuitive, elle s’est structurée, et est complètement incarnée dans notre quotidien. Le développement de l’entreprise s’est fait au travers de cette dimension et se traduit notamment par la mise en place de l’actionnariat salarié. Aujourd’hui, 50% de nos salariés détiennent 18% de l’entreprise », détaille François Guérin, président directeur-général de Cetih. Une dynamique qui permet d’avoir des salariés engagés, impliqués, car l’entreprise, c’est la leur. « Le sens, le projet construit, c’est aussi le leur. On va loin si on embarque le collectif », soutient le dirigeant. La formation, le parcours, la sensibilité jouent, bien entendu, un rôle dans ce processus, il faut nécessairement une conviction forte du dirigeant.
Miser sur l’autonomie et la responsabilisation des équipes
Créée en 2011 et rachetée en 2017 par Perceva, la société Océalliance s’est étoffée au gré de plusieurs rachats. Le groupe est aujourd’hui leader en France du mareyage, la transformation de poissons frais sur la façade atlantique. « C’est un milieu où l’humain est très important. Quand je suis arrivé dans le groupe en 2018, il était encore un peu en difficulté, avec des croissances externes rapides. Nous nous sommes mobilisés autour d’un projet commun où l’humain est au cœur de la réussite, et avons revu nos objectifs, priorités, axes stratégiques en misant sur la responsabilisation et l’autonomie de nos équipes sur le terrain. Aujourd’hui, dans les 12 sociétés, il y a de vrais chefs d’entreprise et notre organisation est très décentralisée », retrace Guénolé Merveilleux, président du groupe.
Grâce à ce projet d’entreprise, Océalliance a mieux résisté à la crise : « Notre activité a été perturbée par les Gilets jaunes, le Brexit et le Covid. Les équipes sont restées soudées. Nous n’avons fermé aucun atelier, pour assurer un débouché aux pêcheurs et accompagner nos clients. Il y a eu une véritable solidarité. Tout le monde est fier de porter la veste Océalliance ». Pour Guénolé Merveilleux, la responsabilisation des collaborateurs est la clé :« Centraliser est une erreur. Je sais bien m’entourer, de personnes de valeur, et je leur fais confiance. Il faut savoir déléguer, ne pas être au courant de tout. Les collaborateurs font la performance. »
« Aller sur le terrain participe de la qualité et de la performance, mais c’est compliqué à évaluer car cela ne rentre pas dans les données chiffrées comme le PIB », reconnaît Pascal Picq.
Une gouvernance qui laisse place à l’innovation
« Le choc du travail à distance est moins fort quand il y a du lien. » Pascal Picq, auteur de « Les chimpanzés et le télétravail : vers une(r)évolution anthropologique » estime que les singes, en particulier les chimpanzés, ont beaucoup à nous apprendre sur le télétravail. « Les chimpanzés vivent dans des sociétés dites de fusion-fission, c’est-à-dire qu’ils se regroupent ou se séparent au gré de leurs besoins, activités, relations… La 2e grande typologie de société de singes, très parlante dans le monde du travail, est celle des macaques. Chez les macaques, l’organisation est très verticale et descendante. Les macaques seront toujours là, cela dépend des métiers et des individus ». Le type « chimpanzé », plus subtil, associe et reconnaît la compétence des autres. Il crée un terreau fertile à l’innovation : « Le leadership bien assumé doit s’appuyer sur des méthodes agiles et laisser place à l’innovation, qui vient souvent de la périphérie, des sous-groupes. Le management doit être attentif aux initiatives locales, libérer les compétences », assure Pascal Picq.
L’importance de développer son attractivité
Pas facile aujourd’hui d’attirer et recruter des talents. Alors comment développer sa marque employeur, améliorer son image et mettre en valeur le capital humain de sa société ? Au-delà de la fondation philanthropique actionnariale qui s’appuie sur des modèles développés en Europe du Nord, Cetih a lancé son école de management, un socle culturel commun et joue la carte de l’innovation disruptive : « Cetih est un laboratoire, suffisamment petit pour être en agilité, source d’innovation, suffisamment grand pour aller sur des sujets de rupture, agir de façon impactante. Notre taille nous permet d’innover tout en gardant la proximité. »
Les managers sont formés à la proximité et des points hebdomadaires sont organisés en face à face, pour parler de tout, de l’opérationnel à l’émotionnel. Chez Océalliance, il y a un élan familial, une grande proximité avec les collaborateurs, le même amour du produit, de la mer et le même goût de la performance. Les métiers sont valorisés et la promotion interne largement favorisée.« Ce qu’il faut, c’est véritablement un système de valeurs partagées », résume Pascal Picq.
Une vision d’avenir.